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Selon les études du très sérieux institut sociologique Gallup, la France en 2017, puis en 2022, se plaçait à l’avant-dernière place du classement européen, qui mesure l’engagement des salariés au travail. Encore un effort et nous serons les derniers ! On comprend pourquoi la démission massive en France est un sujet brûlant et une préoccupation pour les entreprises.
TRAVAIL – Le « grosse démission »sur « grande désunion »sur « grand paresseux »Pas un jour ne passe sans qu’un article ou une émission ne soit consacré à ce sujet qui est un enjeu de société et professionnelle en augmentant. Mais, hélas, la plupart des personnes qui écrivent sur le sujet ou sont invitées à en parler sont très éloignées des réalités de PME et TPE françaises et notamment les moyens qu’elles pourraient mettre en œuvre à leur niveau pour répondre à cette nouvelle menace.
Pratique versus théorie
Leurs solutions sont trop souvent institutionnelles et macroéconomiques : développer le travail à distancedonner du sens aux actions RSE, mettre en œuvre le bien-être et la bienveillance, mieux organiser la réduction des travailler et la flexibilité, l’amélioration des conditions de travail…
Dans ce forum, fort de mon expérience et de ma connaissance des petites et moyennes entreprises entreprises, j’aborde le défi du grand compromis par une approche microéconomique accessible aux PME, qui explique pourquoi les gens se désengagent et, surtout, comment trouver le chemin individuel d’un nouvel engagement par rapport à leur projet professionnel. Le système éducatif et la culture de gestion offrent en fait un chemin unique à des êtres différents, plutôt que d’offrir des chemins différents à des êtres uniques.
Du macro au micro
La Grande Résignation est un phénomène mesurable et quantifiable. Selon les études du très sérieux institut sociologique Gallup, la France en 2017, puis en 2022, se plaçait à l’avant-dernière place du classement européen, qui mesure l’engagement des salariés au travail. Encore un effort et nous serons les derniers ! On comprend pourquoi la démission massive en France est un sujet brûlant et une préoccupation pour les entreprises.
Deux raisons principales contribuent à ce désengagement du travail. Le premier est l’écart grandissant entre les diplômés qui trouvent le travail motivant et ceux qui sont peu ou pas qualifiés et qui doivent se contenter d’emplois sans débouchés. Les premiers choisissent, les seconds souffrent. D’abord, le système scolaire, puis la culture managériale, ne permettent pas de construire un parcours unique adapté aux capacités de chacun. La véritable inégalité n’est pas seulement dans le niveau de départ de chacun, mais dans l’inégalité d’avancement qui l’accompagne. Les entreprises se concentrent sur la découverte et l’accompagnement des hauts potentiels, ceux qui ont les qualités les plus visibles, et cela est certes nécessaire, mais au détriment de la découverte de talents moins visibles, cachés, oubliés ou encore en développement. Pourtant, les talents cachés représentent 80% de la population contre 20% pour les talents manifestes ! La deuxième raison est le changement de système de valeurs de la nouvelle génération, qui privilégie massivement le bien-être personnel et le respect de l’environnement, conduisant à un mode de vie en retrait du monde. Face à ces deux évolutions majeures, la plupart des managers formés aux outils d’hier peinent à trouver et à mettre en œuvre de nouvelles réponses.
La démission est une forme de retrait qui s’avère bien pire que la démission. Dans la démission, les personnes choisissent de trouver un autre emploi, mais restent motivées professionnellement. Leurs diplômes, leurs ressources financières ou leur environnement familial leur offrent cette opportunité. Dans le détachement, les gens ne vont nulle part car ils sont démotivés, frustrés, renfermés et souvent, au fond, anxieux du monde et de l’avenir. Parce qu’ils ne peuvent pas s’offrir le luxe de démissionner, ils perdent complètement leur emploi et leur entreprise. Les coûts personnels et professionnels sont importants. Quant à l’impact social, il pourrait à terme se transformer en une sorte de rébellion, comme celle des gilets jaunes, mais cette fois au sein des entreprises elles-mêmes.
Pouvoir de la chaîne de commandement
En analysant la situation, force est d’admettre que la chaîne de gestion n’est pas suffisamment stable. Il existe de nombreux maillons faibles. Il est essentiel d’analyser les pannes et de proposer des solutions immédiatement applicables, en partant du sommet de l’entreprise, comme nettoyer un escalier : management, management, gestion des ressources humaines, salariés.
D’abord, la gestion est le sommet de l’échelle. Lorsqu’ils existent, les conseils d’administration sont composés d’actionnaires, de gérants et d’administrateurs. Ces acteurs sont fortement orientés vers la rentabilité du capital financier. Une solution serait de faire plus de place à des administrateurs indépendants chargés de la préservation et de la sécurisation du patrimoine humain. Ces administrateurs indépendants sont externes à l’entreprise et siègent au sein d’un conseil d’administration qui leur confie un mandat spécifique, qui peut être précisément celui de retenir les compétences clés.
La gestion est le deuxième échelon de l’échelle sur laquelle il faut travailler. Le système éducatif permet à des personnes sans vocation de manager des équipes grâce à leurs diplômes. Aussi, certains managers passent d’école en management sans connaître le métier, l’entreprise, le produit, la culture, les hommes… Ils récitent les connaissances acquises sans les expérimenter. Et cela est forcément mal ressenti par les équipes qui doivent avoir un CAP cohérent, adhérer aux valeurs et au projet d’entreprise, mais aussi au produit/business et au climat et ambiance de l’équipe dans laquelle ils travaillent. Et le rôle du manager est d’aligner les projets individuels des salariés avec le projet collectif de l’entreprise. Cet alignement relève de la responsabilité de la chaîne de management.
5 clés
La gestion des ressources humaines est un élément important des actions qui peuvent être menées pour faire face au désengagement professionnel. La plupart des entreprises n’ont pas évolué dans la gestion des ressources humaines, alors qu’il faudrait aider les managers à favoriser le développement des collaborateurs, en tenant compte de leur singularité en formalisant un parcours qui sera personnalisé en cinq étapes clés :
1 – Déterminer le potentiel des collaborateurs :
Alors que les entreprises françaises s’intéressent depuis plusieurs années à la notion de talent et l’ont pleinement intégrée dans leur stratégie RH, leur approche reste trop élitiste et cible principalement les managers ou hauts potentiels, délaissant ainsi le reste de leurs effectifs. De plus, pour la plupart des entreprises, la gestion des talents consiste principalement à identifier le niveau de performance ainsi que la capacité à évoluer et à assumer de nouvelles responsabilités.
Bien se connaître permet de se mettre au bon endroit. Laisser un comptable faire la comptabilité alors qu’il a des compétences commerciales est un gaspillage pour l’entreprise et surtout une galère pour le salarié.
2 – Explorer la passion pour capitaliser sur le potentiel.
La vraie passion est celle qui fait partie intégrante de notre existence, mais que nous n’avons pas eu l’occasion de développer en raison des contraintes sociales auxquelles nous sommes soumis et de la pression exercée par l’ambition sociale. Cependant, un manque de passion au travail a des répercussions dans le monde des affaires. Cela se reflète particulièrement dans le désengagement des employés, les faibles niveaux d’engagement et l’insatisfaction générale. S’il y a bien une génération qui a compris l’importance de la passion dans le travail, c’est bien la génération Millennial. Ces jeunes travailleurs se sentent moins « responsable » que leurs parents à leurs employeurs, et ils recherchent avant tout un travail qui leur plaise et dans lequel ils puissent donner la pleine mesure de leurs capacités.
Ne pas demander à l’associé quels sont ses appétits dans son travail, c’est le laisser progressivement se démotiver voire abandonner. L’erreur n’est pas de demander aux salariés quelles sont leurs compétences métier lors d’entretiens ou de recrutements, mais de leur demander quel est leur niveau d’expérience par rapport à leur savoir-faire dans les postes qu’ils ont occupés.
3 – Développer le professionnalisme en lien avec la passion.
« L’expérience est une lanterne attachée derrière notre dos qui n’éclaire que le chemin que nous avons emprunté », Confucius. Malheureusement, de nombreuses entreprises continuent aujourd’hui à privilégier le professionnalisme ou les talents évidents de leurs employés ou candidats potentiels. Ainsi, les services RH prennent grand soin des employés « d’accord » diplômes ou diplômés d’écoles d’ingénieurs ou de commerce, privilégiant leur formation continue au détriment des ouvriers non qualifiés. Pourtant, ces talents évidents sont difficiles à retenir car ils sont toujours prompts à vendre leurs services au plus offrant. A l’inverse, les talents latents, c’est-à-dire les personnes sans diplôme ou avec peu d’expérience sont un véritable atout durable pour l’entreprise.
Aujourd’hui, nous recrutons exclusivement avec un CV qui parle du passé, pas du potentiel et de la passion qui parlent de l’avenir du candidat.
4 – Accompagner le projet professionnel des collaborateurs.
Il est essentiel d’aligner le projet individuel avec le projet collectif de l’entreprise. C’est la responsabilité du manager et du leader. Malheureusement, le collaborateur est souvent contraint de s’en tenir à un projet collectif, loin de son projet individuel. L’entreprise gagnerait beaucoup à identifier les projets individuels de ses collaborateurs dès la phase de recrutement.
5 – Valoriser les collaborateurs pour réaliser leurs projets.
La connaissance est une richesse inépuisable disponible gratuitement aujourd’hui. Trop souvent pourtant, les entreprises envoient leurs salariés suivre des formations dont seulement 20% du contenu les concerne. C’est une perte énorme pour l’employé et pour l’entreprise. Aujourd’hui, il est essentiel que la formation soit mieux adaptée aux salariés pour s’aligner sur celle de l’entreprise. Un axe de travail serait de le faire en interne avec des mentors qui, avant leur retraite, pourraient transmettre leur savoir-faire… et repartir plus heureux.
Enfin, après avoir nettoyé les échelons supérieurs et alors seulement, l’entreprise peut être plus exigeante envers ses employés.
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