Face à une crise alarmante de la fréquentation des salles de cinéma, environ trois cents professionnels indépendants du secteur – toutes professions confondues – ont signé le forum du 17 mai 2022 à Le monde questionne explicitement les choix politiques du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Ce texte, inquiet de la dérive idéologique de l’institution, appelait à la tenue des États généraux du cinéma français. Le 6 octobre, une journée de rencontre de la profession est prévue à l’Institut du monde arabe à Paris pour pousser les pouvoirs publics à leur organisation particulière. Une rencontre avec le producteur Saïd Ben Saïd (André Téchiné, Paul Verhœven, Nadav Lapid, David Cronenberg…), l’un des fers de lance de ce mouvement, pour mieux en comprendre les enjeux.
Le rapport sur le financement du cinéma français, présenté en 2018 par le nouveau directeur du CNC d’alors, Dominique Boutonna, a aussitôt alarmé une partie de la profession. De quoi l’accusez-vous ?
C’est un rapport qui ne tient pas compte de la singularité des films, faisant comme s’ils étaient tous pareils, et qui défend, au nom d’une conception purement comptable de la culture, la destruction de l’action publique par rapport au cinéma.
Qu’est-ce qui a changé dans la politique du CNC depuis ?
Rappelons d’abord que le CNC ne distribue pas de subventions aux professionnels du cinéma, mais réinjecte l’argent de l’exploitation des films dans le cinéma français sous forme de soutien automatique et sélectif. Cette aide automatique est proportionnelle au succès commercial du film, tandis qu’une aide sélective est accordée aux films à dimension artistique mais ne répondant pas nécessairement aux critères du marché. C’est ce principe de nivellement qui a fait ses preuves depuis des décennies et fait l’envie du monde entier, qui est peu à peu remis en cause par des objectifs de résultats, de rentabilité et d’efficacité.
La marginalisation du cinéma au profit de l’audiovisuel dans la politique de soutien du CNC est un élément important de votre argumentation.
Dominic Boutona souhaite unir les dispositifs d’accompagnement et de soutien du cinéma à ceux du secteur audiovisuel, partant du constat que les séries ont peu à peu comblé le vide laissé par une partie du cinéma. Le constat n’est pas entièrement faux, mais il est on ne peut plus biaisé et biaisé. Avec la disparition des studios de franchise, le cinéma devient un métier de prototypage : les films de Kelly Reichard et Bennett Miller en Amérique ceux de Hong Sang-su, Lee Chang-dong ou Hamaguchi en Asie, Abdellatif Kechiche, Julia Ducournau ou Alice Diop en France… La production de masse est une industrie. C’est le règne de la quantité. Ce sont deux approches économiques et artistiques radicalement différentes.
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