Che Vladimir Zelenski a donné aux Américains leur première visite à l’étranger depuis le début de la guerre il y a dix mois était significative à plus d’un titre. dans voyage à Washingtonle 21 décembre, et d’avoir été accueilli à bras ouverts par Joe Biden et en hissant le drapeau ukrainien au Congrès, Zelensky a symboliquement cimenté l’alliance entre Kyiv et les États-Unis, sans le soutien militaire massif desquels, comme nous le savons, les Ukrainiens n’auraient pas pu résister longtemps à l’agression russe. Par extension, elle s’est en même temps retrouvée à souligner l’asservissement de l’Ukraine aux dynamiques internationales, trop étroitement dépendantes, encore et encore, des rivalités entre puissances dominantes.
De la longue histoire (les responsabilités américaines dans ce qui est arrivé à la Russie après l’effondrement de l’URSS) à la courte histoire (l’opération spéciale lancée par Poutine le 24 février), l’Ukraine est aujourd’hui entraînée dans une guerre d’indépendance, déjà gagnée, dans laquelle l’Occident solidaire apporte, bien sûr, un soutien essentiel, nécessaire, exemplaire. Le développement démocratique, la protection des libertés, le droit des Ukrainiens à l’autodétermination sont autant de principes fondamentaux qui animent la résistance contre la violence indicible appliquée par le régime russe. Cependant, ce conflit s’est rapidement transformé en une bataille négociée par les États-Unis contre la Russie et, en plus, contre son allié la Chine. Une sorte de guerre froide bis – où le reste du monde, dont l’Europe, tend à être relégué au statut d’observateur.
Si, cependant, XXe siècle a beaucoup à nous apprendre, c’est dit entre autres dans un article paru dans Affaires étrangères et intitulé « La concurrence entre les grandes puissances est mauvaise pour la démocratie est que la guerre froide et ses conflits violents étaient loin d’être propices au développement démocratique. Ni politiquement, ni socialement, ni économiquement. Aux États-Unis, la confrontation Est-Ouest a eu des effets dévastateurs sur la liberté d’expression et sur l’égalité économique et raciale. La création d’emplois et le filet de sécurité sociale ont été sacrifiés sur l’autel des dépenses militaires, notamment pour financer la guerre du Vietnam. Pour s’envelopper leitmotiv moral et manichéen de l’opposition « démocraties contre autocraties », mais uniquement lorsque les intérêts des Etats-Unis ne sont pas menacés, Joe Biden est enclin à faire en sorte que l’histoire se répète.
Cette concurrence exacerbée entre les grandes puissances se superpose à un dysfonctionnement croissant des instances internationales et multilatérales, avec des pays comme la Turquie du président Erdogan peu soucieux des principes et pour qui le moment est « venu opportunisme débridé »dit l’éditeur de Saint Gilles Paris. Des cas que Biden a pourtant promis d’évaluer et qui semblent aujourd’hui dépassés par l’anomie. Si, par conséquent, Poutine resserre les rangs à contrecœur derrière l’alliance militaire, c’est-à-direOTAN, il n’en demeure pas moins que l’invasion de l’Ukraine s’inscrit pour lui résolument dans un projet visant à « un changement tectonique de tout l’ordre mondial ». Une entreprise de réparation géopolitique que Pékin partage largement.
« On fait la guerre quand on veut, on la termine quand on peut » (Le prince de Machiavel). En tarissant la principale source de devises disponibles Vladimir Poutine pour financer son aventurisme, l’embargo pétrolier russe pourrait éventuellement l’inciter à négocier un accord de paix. Mais quand ?
Des débuts de pourparlers de paix se font entendre, mais ils sont à peine perceptibles tant les camps restent dans leurs positions maximalistes. Mais si l’heure de la diplomatie n’est pas encore venue, comme tout le monde le répète, ce n’est pas une raison pour ne pas chercher par tous les moyens une issue au « scénario destructeur », comme le prétend le président Emmanuel Macron. Le peuple ukrainien, résilient, combatif et uni comme il est, souffre suffisamment. Il n’y aura pas de paix sans amertume.
Dans l’urgence de la défense héroïque des libertés en Ukraine, on oublie que ce conflit a finalement engendré une militarisation massive d’un pays déjà l’un des plus pauvres d’Europe. Et que cette guerre et cette militarisation – des États-Unis, de l’Europe, de l’Iran, qui fournit l’armée russe en drones, de la Corée du Nord, qui arme les mercenaires du groupe Wagner – laisseront longtemps des blessures sociales et humaines profondes. Au moins cinq millions de déplacés internes et encore plus d’Ukrainiens en exil, l’hiver sans eau ni électricitépénuries alimentaires : plus les armes parleront, plus le pays aura forcément du mal à se reconstruire.
La Russie n’a pas montré de volonté « significative » de mettre fin à la guerre, selon les États-Unis. Nous n’en doutons pas. Mais quelle volonté les États-Unis ont-ils exprimée pour y mettre fin ?