Le recours au coaching semble être une véritable mode. Depuis une dizaine d’années, les entreprises font de plus en plus appel à des coachs pour accompagner leurs dirigeants, quelle que soit leur position dans la hiérarchie.
Désormais, dès que quelqu’un change de poste, prend une nouvelle fonction (ingénieur qui devient manager par exemple) ou dès qu’il rencontre une difficulté dans son activité, nous envisageons le coaching.
Preuve de ce succès en chiffres, La Fédération internationale des entraîneursla plus ancienne fédération internationale de coachs professionnels, comptait 1 500 membres en 1999, 16 000 en 2011 et 42 700 en 2020 dans 140 pays.
Pour certains critiques, ce serait une conséquence de douleur causée par la pression sur la représentation du capitalisme. D’autres chercheurs pensent au contraire identifier une bon usage du coaching.
Mais qu’est-ce que le coaching ? Notre récent travail de recherche examinent en particulier le paradoxe suivant : malgré les difficultés à définir le terme et à lui trouver un fondement théorique, la pratique s’avère extrêmement limitée.
Les entretiens et observations que nous avons menés nous invitent à le résoudre, en tenant compte du fait que le coaching s’avère être à la fois une relation d’aide qui unit le coach à la personne qu’il accompagne, et une relation commerciale entre ce même coach et l’entreprise qui rachète son services. Ce qui n’est pas sans suggérer de nouveaux problèmes…
A chacun sa référence
Pour les chercheurs qui l’étudient, le coaching ressemble à pratique très diversifiée, et est difficile à déterminer. Le formateur explique :
« Le coaching est défini de manière négative. Ce n’est pas une thérapie, ce n’est pas une formation, ce n’est pas un conseil. En même temps, c’est un peu tout ça. »
Les sources auxquelles la pratique peut prétendre s’avèrent multiples et souvent sans rapport. Socrate, Montaigne, Freud, mais aussi Jung, Erikson, les groupes Ballin ou Lacan et même la Gestalt ou l’école de Palo Alto… Chaque professionnel semble avoir sa référence.
Établissement d’un contrat
Une telle variété d’inspirations devrait conduire à une pratique impliquant des approches multiples. Mais ce n’est pas comme ça. Au contraire, cette pratique est extrêmement encadrée.
Ainsi, après s’être assuré que le stagiaire s’engage de son plein gré et non à la demande de sa hiérarchie, le stage débute par la sélection d’un coach par le mentoré. Ce choix se fait après un entretien avec le guide prospectif, basé sur la confiance.
Donne lieu à l’établissement d’un contrat. Un professionnel explique :
« Au début, nous déterminons la raison de la relation, pourquoi nous allons nous rencontrer. Je demande à mon entraîneur de déterminer ce qu’il attend. Un engagement mutuel autour du contrat et de la confiance est nécessaire. Contrat, engagement, confiance. »
Le contrat prévoit également, outre les objectifs à atteindre, la fin de la relation :
« Je n’ai aucune vocation à rester dans la vie des gens, même si j’aime avoir des nouvelles. Une bonne posture de coaching consiste en partie à s’accrocher pendant un certain temps et à disparaître de la vie des gens. Une partie de cette présomption est que la personne a toutes les ressources. »
Le cours se poursuit par un nombre de séances fixé au début, avec des exercices entre chacune. Certaines se déroulent entre le coach et le salarié accompagnateur uniquement, d’autres impliquent un représentant de l’entreprise. Ce dernier est notamment présent lors de la séance de clôture, au cours de laquelle il est évalué si les objectifs fixés lors de la première séance ont été atteints.
Condition de certification
Des codes de déontologie précis et rigoureux élaborés par des associations professionnelles contribuent également à la surveillance de la pratique. Elles portent notamment sur la confidentialité des échanges. L’entraîneur reste un homme à protéger. De plus, un même coach n’accompagne pas deux personnes unies par une relation hiérarchique.
Lors de nos entretiens, plusieurs coachs ont mis en avant des enjeux éthiques :
« Lors de la rédaction du contrat, le coaché se fixe un objectif : ‘Je veux que les gens fassent ce que je leur demande de faire.’ J’ai refusé là. Le but était manipulateur. reconsidérez votre objectif. Nous avons enfin travaillé ensemble. »
En raison des problèmes éthiques qui peuvent survenir, des difficultés et des impasses qui peuvent survenir dans la relation, le coach a généralement besoin d’être surveillé. Tous les entraîneurs sont certifiés par l’association et c’est aussi une condition de certification.
Problème d’Akerlof et coaching
Comment sait-on que cette relation d’aide peut être autant façonnée alors que ses fondements semblent si différents ? Sans aucun doute, il faut se pencher sur la nature commerciale de la relation.
Nous n’avons pas de données fiables, mais il est probable que 90 à 95% du coaching se fasse à la demande d’une entreprise. Pour une entreprise, la question est : comment être sûr d’utiliser un service de qualité ?
C’est le problème classique de l’asymétrie d’information soulevé dans les années 1970 par l’économiste Georges Akerlof. Son exemple est : si j’achète un véhicule d’occasion, comment puis-je être sûr que le vendeur n’essaie pas de m’arnaquer ? Il a vraiment des informations que je n’ai pas sur ce qu’il me fournit. Idem pour l’entreprise qui fournit les services d’un coach : comment être sûr que c’est vraiment bien ?
Le problème se pose d’autant plus dans notre cas que l’échange avec les salariés sera confidentiel et que de plus en plus de professionnels proposent leurs services.
Cadrage décisif
La question peut être reformulée ainsi : comment l’offre et la demande peuvent-elles se rencontrer autour d’un prix unique ? Les relations marchandes, pour exister, devaient être structurées autour de trois éléments fondamentaux.
Le premier est la formation des entraîneurs. Certaines écoles prestigieuses comme HEC proposent déjà des formations spécialisées dans ce domaine. Vient ensuite la certification et aussi surtout le cadrage de la relation.
Le formateur explique pourquoi ce dernier élément est particulièrement crucial :
« On est dans une relation à trois, l’entreprise qui paie, le coach et le coach. Pour que les choses se passent bien, il faut créer un cadre pour que l’entreprise soit sereine. »
On comprend ainsi comment une pratique si difficile à définir peut être vue en même temps comme un cadre. Cependant, ce n’est pas le seul paradoxe qui entoure ce phénomène grandissant.
Victime de votre propre succès ?
En effet, deux évolutions se profilent qui pourraient bouleverser à la fois le marché tel qu’il est structuré aujourd’hui et la pratique elle-même. On peut donc se demander si le coaching ne sera pas victime de son propre succès.
Un professionnel explique le premier d’entre eux:
« Gros sujet aujourd’hui : devenir manager coach. C’était comme s’il n’y avait plus de relation hiérarchique… »
De cette façon, le leader coacherait son équipe plus qu’il ne la dirigerait. Mais n’y aurait-il pas contradiction ici ? Par définition, le coaching n’est pas une relation hiérarchique. Comment alors peut-il aller mal avec une relation de gestion?
Lors d’un entretien, une seconde évolution, attendue et redoutée, a également été évoquée : celle de l’intelligence artificielle. Sa capacité à renseigner en temps réel sur ce qui se passe dans la relation, à suggérer des questions, à permettre au coach de vérifier ou d’infirmer son intuition, à l’aider à réfléchir sur la façon dont il anime une séance peut également entraîner de profonds changements dans les pratiques. .