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COACHING – Les discours sur la promotion du développement personnel et du bien-être au travail au nom de la performance se sont multipliés ces dernières années. Emblématique de cette orientation, encadrementdéfini comme « accompagner les personnes à développer leur potentiel et leur savoir-faire dans le cadre d’objectifs professionnels », est implanté en France depuis une vingtaine d’années. Dérivée de la psychothérapie mais développée dans le domaine du conseil, cette pratique consiste en une série d’entretiens confidentiels et réguliers entre un stagiaire, généralement un directeur général d’une organisation, et un coach, généralement un consultant, externe à l’organisation. Le coaching est-il le signe d’une humanisation de la capitalisme comme le prétendent ses promoteurs ou le vecteur d’instrumentalisation de la subjectivité comme le dénoncent ses détracteurs ? Une étude ethnographique approfondie des entraîneurs, des défenseurs des droits de l’homme et des managers entraîneurpermet de comprendre ce que font les coachs et à quels usages organisationnels répond le coaching.
L’essor du coaching face au changement du travail et des organisations
Mobilisant des techniques de développement personnel inspirées de la contre-culture des années 1960 et de ses concepts anti-hiérarchiques, le coaching a évolué face aux mutations du travail et des organisations. Les évolutions technologiques ont rendu le travail plus relationnel. L’introduction d’organisations de travail flexibles et fluides dans les années 1980 a rendu la circulation de l’information critique, faisant de la réactivité, de l’initiative et de la collaboration des compétences clés. Les méthodes de gestion des effectifs doivent préserver ces compétences : il ne s’agit plus de diriger par le statut (« je suis le patron, donc tu m’obéis »), ce qui limiterait l’initiative et la créativité, mais de mobiliser par le sens et la connexion (« tu me suis parce que vous êtes inspiré par la direction que je propose »). Les directions d’entreprises imposent alors les leurs cadres devenir des « managers-coachs ». Ces attentes productives n’ont fait que croître avec les organisations collaboratives portées par la digitalisation des années 2000-2010. Ce discours peut aussi séduire les salariés en quête d’autonomie, décourageant la critique du capitalisme. C’est le « tournant personnel » du capitalisme, qui prétend placer au centre la personnalité de ceux qui travaillent, leur personnalité élevée en « savoir-faire », mais aussi leur bien-être et leur épanouissement. Que produit concrètement ce dispositif profondément ambivalent, signe de similitudes sélectives entre développement personnel et capitalisme ?
Coaching pour développer les compétences relationnelles des managers
Au sein des grandes organisations, tant privées que publiques, le recours à encadrement sont largement prescrits, selon le terme employé, c’est-à-dire fortement recommandés aux managers par leur hiérarchie ou par la direction des ressources humaines : le coaching est un outil de management. Habilité à développer les « compétences relationnelles » des managers, le coaching les amène à faire évoluer leur communication et leur performance dans le sens d’une euphémisation des rapports de force légitimes. Elle leur apprend, à travers des modèles de personnalité simplifiés, à se mettre à la place de leurs interlocuteurs afin d’apaiser les tensions nées du travail et de son organisation. Le coaching traite également des problématiques relationnelles en dehors des relations managériales liées à des positions conflictuelles dues par exemple à l’organisation des services. D’ailleurs, en quelque sorte a priori Étonnamment, contrairement à son mandat, il peut aussi faire office de rappel à l’ordre lorsque la relation entre le manager et… sa hiérarchie est en jeu. Il rappelle ensuite aux managers qu’ils doivent rester en place dans des organisations qui restent hiérarchisées, révélant les contradictions entre les promesses d’autonomie du discours néo-managérial et le fonctionnement réel des organisations. Plus largement, cela conduit à une rationalisation de ses comportements, à une maîtrise accrue de ses affects, ce qui passe par l’expression de son expérience professionnelle et sa prise en main à huis clos.
Ainsi, le coaching leur apprend à faire un travail d’hygiène mentale destiné à développer leur réflexivité et leur maîtrise de soi en situation professionnelle. Cette hygiène mentale passe aussi par un travail sur son organisation personnelle pour faire face aux difficultés passagères du travail marquées par l’urgence, le débordement sur la sphère personnelle ou encore la multiactivité inhérente à ses fonctions. Les entraîneurs leur apprennent à tout prévoir, y compris les imprévus, à faire preuve d’hygiène territoriale dans leurs relations de travail et à séparer vie personnelle et vie professionnelle – des techniques de rationalisation qui existent. là encore, loin de l’idéal d’agilité et de créativité prôné par le discours néo-management tenu par les coachs. Quels que soient les paradoxes de cette hygiène mentale, qui tend d’ailleurs à devenir un idéal à atteindre en tant que tel, une nouvelle norme à respecter dans un souci d’efficacité et de bien-être, il ne faut pas négliger l’accompagnement, apporté aux managers confrontés à des défis professionnels qui surgissent dans des contextes de travail interdépendants et entrecoupés de contradictions organisationnelles.
Le coaching comme palliatif à la responsabilité d’entreprise
Pourtant, tout en armant les managers concernés – qui sont déjà parmi les mieux formés au sein des entreprises – de techniques d’hygiène mentale, le coaching tend à leur transférer, en tant qu’individus, la responsabilité des difficultés professionnelles et de leur bonne résolution. Les problèmes de travail, de relations managériales, d’intérim ou encore de carrière sont imputés à la personnalité du manager qui manque de savoir-être, masquant leurs dimensions productives et organisationnelles. Le coaching contribue ainsi à libérer les entreprises d’un état d’esprit organisationnel rigide. Cette fonction palliative est encore plus évidente par rapport à la carrière.
Si le coaching aide le manager à se repositionner et à sauver la face, il permet aussi de sauver les apparences libérales sur le marché du travail.
La restructuration des grandes organisations entamée dans les années 1990 et l’effondrement des pyramides s’accompagnent d’une rupture du pacte de confiance entre l’entreprise et les dirigeants, pacte qui promettait une carrière ascendante en échange d’investissements intensifs. Un discours d’employabilité, obligeant les managers à prendre en main leur propre carrière, accompagne cette évolution. Une partie du coaching est offerte aux cadres qui éprouvent une insatisfaction professionnelle, par exemple après avoir été empêchés d’obtenir une promotion. Ensuite, derrière le mandat de soft skills, le coaching remplit une fonction palliative. Le coach écoute la façon dont le manager exprime son mécontentement et l’aide à « rebondir », c’est-à-dire à trouver une issue, souvent temporaire, à une situation bloquée. Si le coaching aide le manager à se repositionner et à sauver la face, il permet aussi de sauver les apparences libérales sur le marché du travail. Ainsi, le coaching a un effet généralement conservateur, notamment sur l’accès aux parcours managériaux, tout en offrant un exutoire à l’individu qui s’impose comme un nouveau régulateur des tensions au travail. Avec le risque supplémentaire de faire face à des difficultés structurelles persistantes, l’individu peut ne pas être tenu responsable de ces attentes, perpétuant un phénomène connu sous le nom d’épuisement professionnel.
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