Y a-t-il lieu de s’inquiéter pour Bill Gates ? Ces dernières années, de nouveaux symboles de réussite sont apparus, au point de bouleverser une partie de la jeunesse française et mondiale en quête de nouveaux modèles. YouTube, Instagram et désormais Tik Tok sont les nouveaux débouchés. La démarche est connue : augmenter sa vie, montrer son quotidien sous sa forme la plus saine (sport, alimentation, méditation…) et/ou ludique (sorties, amis, voyages, shopping…), autant de contenus pour gagner des abonnés. , négociez des collaborations avec de grandes marques ou même entretenez votre propre marque.
Loélia, 32 ans, passionnée de mode, a lancé Littlemissinparis.fr il y a cinq ans. Ses 25 000 abonnés sur Instagram et les contenus qu'elle y publie quotidiennement lui ont permis de «faire beaucoup de choses qui [elle] il n'y aura pas [ait] Je ne pourrais jamais le faire », confie-t-elle. A savoir : des voyages pour des marques comme Häagen-Dazs ou Gillette, des collaborations avec des magazines comme « Voici » et « Marie Claire ». Comme Loélia, ils sont des milliers à vendre constamment du rêve sur les réseaux sociaux.
« Elle me donne envie de me surpasser »
A chacun son sujet : lifestyle, mode, humour, beauté, musculation, fitness… Le yoga n'est pas en reste non plus. Sorti de prison, il a de plus en plus de partisans. « Tout ce qu'on voit sur Instagram, ce sont des filles super flexibles qui font le grand écart sur une plage ensoleillée et qui pèsent 100 livres.note Gaëlle Frizon de Lamotte, PDG de Oly Be, une startup spécialisée dans les cours de yoga . C’est très beau et inspirant, mais cela met de nombreuses barrières devant ceux qui voudraient pratiquer ce sport. »
Une vie réussie peut-elle faire l’objet d’une recette ? Par quel miracle ?
Julia de Funes, philosophe et auteur de (Non)développement personnel
Les adeptes sont certes influencés, mais pas trompés. Les abonnés savent souvent que leurs idoles « ne pas tout montrer », a témoigné Charlotte, 19 ans, étudiante. La jeune femme suit notamment une influenceuse : Caroline Resever, 3,8 millions de followers sur Instagram. Issue de la télé-réalité, cette dernière a réussi à changer son image pour devenir une véritable femme d'affaires en créant plusieurs entreprises (thé, beauté, habillement, etc.)
En 2019, c'est la reconnaissance : la jeune femme, alors âgée de 30 ans, fait la couverture de « Forbes » en France. Il apparaît sur les réseaux sociaux « avec le bébé parfait, le mari parfait, la compagnie parfaite, l'appartement parfait, la personnalité parfaite… Un modèle de réussite dans tous les domaines qui met la pression sur beaucoup de personnes », déclare Murad Ait Elhaj, leader marque partenaire France chez Divimove, agence spécialisée dans les médias digitaux. De son côté, Charlotte y voit plutôt un moteur au quotidien : « Elle me donne envie de me dépasser pour obtenir ce que je veux dans la vie » elle a confiance. Ainsi, les réseaux sociaux sont une sorte d'encyclopédie en plein air où les jeunes « errent là sans se sentir limités ni frustrés, là où beaucoup apprennent des choses, d'autres sont blessés car trop sujets à la rivalité mimétique »analyse la philosophe Cynthia Fleury.
15 milliards de dollars en 2022
Pendant ce temps, la force de frappe de ces influenceurs est gigantesque auprès de communautés de plusieurs millions de personnes. Des chiffres qui donnent le tournis : sur Instagram, Léa Elouie, connue pour ses déhanchés, arrive en tête des influenceuses françaises les plus suivies avec 11 millions d'abonnés. Enzo Tais-Toi, un jeune influenceur de 17 ans diplômé d'école et vivant de son nouveau métier, compte 3 millions de followers sur Tik Tok. Sur YouTube, Tibo InShape (musculation) compte plus de 7,6 millions d'abonnés et a lancé sa propre marque en 2015. Au niveau mondial, entre mai et juillet, Instagram a gagné 111 millions de nouveaux utilisateurs, note Le rapport Nous sommes sociaux/Hootsuite. À son tour, l’industrie du marketing d’influence devrait valoir 15 milliards de dollars d’ici 2022, contre 8 milliards de dollars en 2019, selon les estimations de Business Insider Intelligence.
Derrière tous ces zéros brillants et ces rêves de réussite, peu d'influenceurs parviennent à en vivre, entre nano-influenceurs (moins de 10 000 abonnés), micro (moins de 50 000 abonnés) et macro (de 500 000 jusqu'à plusieurs millions d'abonnés). . « abonnés »), dont beaucoup sont contraints de garder des emplois à côté, comme Loélia, presseuse la semaine, influenceuse le week-end. Un planning pas toujours simple à orchestrer : répondre aux commentaires, gérer les partenariats, prendre les bonnes photos… tout en évitant de se laisser prendre « voyeurisme ». Nul doute que la jeune femme dévoile trop sa vie privée. Ce deuxième emploi lui offre un bon complément de revenu, avec un chiffre d'affaires de 12 000 € réalisé en 2019. Ceux qui perceront pourront gagner jusqu'à « médecin ou avocat ou plus »noté par Murad Ait Elhaj.
« Sacs à main de luxe »
Le métier d’influenceur, bien que nouveau dans la société, existe déjà depuis plus d’une décennie. Le début de la monétisation des vidéos YouTube en 2007 a marqué un tournant dans la professionnalisation des utilisateurs de YouTube : il était désormais possible de gagner de l'argent rien qu'en se filmant. Au fil des années, tout un marché s'est développé : les agences d'influence, le positionnement produit, la stratégie de marque en quête d'une cible jeune.
En une dizaine d’années, l’environnement s’est considérablement développé. Les premiers influenceurs, comme Cyprien, Norman ou Natoo, spécialisés dans les vidéos humoristiques, ont progressivement reculé. « Avant, les influenceurs avaient une vraie valeur ajoutée dans l’écriture. Ce n’est plus le cas de la nouvelle génération, qui a tendance à ressembler à des valises de luxe.»affaire avec Murad Ait Elhaj.
Selon ce spécialiste des réseaux sociaux, les nouveaux influenceurs étaient plus attirés par la célébrité de leurs aînés que par la production de contenus originaux. Après tout, qu’est-ce qui fonctionne ? « chair », il à répondu. Des réseaux comme Instagram évoluent dans cette direction, comme le montre une étude réalisée par Médiapart : les algorithmes privilégieront les images de nus poussant à stéréotyper les corps.
« Un homme doit être fort et sa plasticité physique dans un triangle inversé. Par contre, la femme doit être mince avec une poitrine large”, commente Christine Castelen-Meunier, sociologue au CNRS et à l'EHESS. Pour elle, les réseaux sociaux nous ont apporté « A l'ère de la performance : comment être plus compétitif, augmenter son profit, utiliser au mieux ses capacités personnelles, surmonter ses erreurs, avec le besoin d'être heureux. » »
Entraîneurs en embuscade
Pas facile de s'aventurer dans le domaine du développement personnel où la concurrence est rude… à moins de s'appeler Marie Kondo, la dossieruse japonaise qui a cartonné grâce à sa technique d'organisation. « Est-ce que cet article me rend heureux ? » Si la réponse est non, allez à la poubelle. Et la clé : la promesse de (re)prendre le contrôle de sa vie. Son livre, La Magie du rangement, s'est vendu à plus de 10 millions d'exemplaires dans le monde, et la jeune femme a même développé une certification à son nom pour former des coachs en rangement.
Dans le sillage de Marie Kondo, d'autres coachs « lifestyle » ont évolué pour accompagner leurs clients vers la réussite. « Les jeunes en ont marre de ces nouveaux modèles qui donnent l'impression qu'il est désormais plus facile de devenir un gourou du succès avec YouTube ou en publiant un livre qui invente une nouvelle méthode du bonheur »a commenté Denis Monnews, sociologue.
A l’origine, le métier de coach s’adressait aux professionnels des entreprises, salariés ou encore PDG. Selon une étude ICF réalisée en 2016 avec PwC, il existe aujourd'hui plus de 53 000 coachs certifiés dans le monde selon leurs standards (soit un minimum de 125 heures de formation et 750 heures de pratique), pour un chiffre d'affaires généré estimé à 2,3 milliards de dollars en 2015 . « Cependant, il est difficile d'estimer tous les autres, nous n'avons aucun moyen de savoir combien ils sont et combien d'entre eux sont encore en vie. C'est une nébuleuse », précise Jean-Pierre Babineau, président d'ICF France, dont l'association délivre des certificats qui ne sont pas reconnus par l'État. L'entraîneur en titre n'est pas encore régulé en France.
« nébuleuse »
Dans cette nébuleuse on retrouve des coachings en tout genre : comment être heureux, réussir sa vie de famille, obtenir sa promotion, arrêter de fumer, se transformer… Avec des prix qui démarrent à partir de 40 euros et peuvent monter jusqu'à plusieurs centaines d'euros par personne. heure. La philosophe Julia de Funes, auteure de Development (Im)personal, condamne presque l'abus de faiblesse : « Ils utilisent des développements théoriques qu’ils appliquent à des objectifs existentiels complexes. Une vie réussie peut-elle faire l’objet d’une recette ? Par quel miracle ? » Elle demande. Et d'ajouter : « Nous vous fournissons des ensembles de comportements qui vous empêchent de devenir une entité autonome. Ils vous culpabilisent alors si vous échouez dans la vie. Ce qui était à votre portée puisque vous étiez censé disposer de tous les outils disponibles. »
Une prise qui rappelle les excès classiques des gourous en tout genre. En 2018, Serge Bliscot, alors président de la Mission interinstitutionnelle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, racontait à nos confrères : France Inter qu'environ « 10 à 20% des 2 500 signalements que nous recevons annuellement concernent ce sujet sous-identifié du coaching et des coachs ». Reste encore au client à faire la différence.