Dans ton livre (im)développement personnel, Le succès d'une arnaque, Julia de Funes rappelle le rôle de la pensée critique dans le développement de l'intelligence humaine.
« Il ne faut pas mettre tous les coachs dans le même sac »
Qu’est-ce qui a motivé votre intérêt pour le coaching, sujet de votre livre ?
Julia de Funès : je dois travailler avec coachs d'affaires. Et j'ai orienté ma thèse de doctorat en philosophie sur le thème de l'authenticité, avec une section consacrée au phénomène social devenu développement personnel. Plus de 30 % des succès en librairie sont liés à ce sujet, et le métier de coach est en plein essor. Ce marché en plein essor est un véritable désastre. Le terme entraîneur est un mot-valise derrière lequel on découvre différentes réalités et trajectoires. Entre le coach amoureux, le coach de vie, le coach dit professionnel, le coach esthétique, la nutrition, etc., il y a de quoi se perdre. Cependant, il ne faut pas mettre toutes les baskets dans le même sac.
En général, les coachs sportifs sont eux-mêmes des sportifs ou se confrontent à la réalité. Je ne les conteste donc en aucune façon et je les admire beaucoup. Les coachs d'affaires ont travaillé dans ce secteur avant d'accéder à cette profession. Ils sont censés savoir de quoi ils parlent, ils ont parfois une expérience légitime.
Les coachs en développement personnel me semblent plus douteux. Certains d'entre eux ils distribuent des recettes toutes faitesdes concepts et une vision de la vie souvent réductionnistes et idéalistes, ne prenant pas toujours en compte les problèmes souvent insolubles de l'existence, la complexité de l'esprit humain.
L'argument « Ouais, mais si ça fait du bien, pourquoi s'embêter ? » » n'est pas un bon argument. Du moins pas d’un point de vue philosophique. Ce n’est pas parce que quelque chose fait du bien que c’est bon en soi. L'alcool peut faire le bien… est-ce bien ? Mon livre vise à démontrer que les principes sur lesquels repose la plupart des travaux de développement personnel ne sont pas philosophiquement rigoureux.
« Confiez vos problèmes à des professionnels dignes de ce nom »
Vous dites qu'on confie notre bien-être, notre âme à chacun. Mais nous ne penserions jamais à le faire avec notre corps. Pour quoi ?
J. de. F.: Oui, on n'irait pas opérer quelqu'un qui n'avait que dix-huit mois de formation. Je comprends la facilité d’aller chez un formateur par rapport à la difficulté d’aller chez un psychiatre. L'approche n'est pas la même. Mais les bénéfices non plus… Si tout ce dont nous avons besoin est une lueur de bien-être, un entraîneur pourrait suffire. Si c'est une difficulté plus profonde, ça me semble mieux confiez vos problèmes à des professionnels dignes de ce nom : dans ce cas les médecins.
« La satisfaction personnelle est le nouvel opium pour les humains »
Selon vous, c'est notre recherche de l'absolu bonheur qui pourrait nous faire perdre le sens de la réalité ?
J. de. F.: L’épanouissement personnel est le nouvel opium pour les humains. Nous nageons la dictature du bien, du « bonheur ». Les œuvres que je critique diluent la réalité avec des mots doux. Nous préférons faire taire les mauvaises réalités, les paroles blessantes et les passions tristes. Il vaut mieux être positif, penser que tout est possible, qu’il n’y a pas de limites, que les rêves sont réalisables.
Ces livres nous disent ce que nous voulons entendre, recommandent des manières d'être, promettent des résultats rapides, comme si tout dépendait uniquement du sujet et des prescriptions vers lesquelles nous nous tournons. Mais les prescriptions fonctionnent rarement bien lorsqu’il s’agit de questions existentielles. Le retour à la réalité est parfois dur.
Si la philosophie n’est pas une mode, si elle a 3 000 ans, c’est parce qu’elle dit des choses vraies conformément à la réalité. Ce n’est pas une littérature qui obéit à son époque. Il se confronte à l'existant, comprend tout sans prétendre tout résoudre. Entre réalité douloureuse ou illusions délicieuses, elle choisit toujours la première ! Le développement personnel doit – si l'on en croit son nom – développer les gens. Cela voudrait dire développer l'esprit critique, la perspicacité, l'acuité de l'esprit, pour ne pas engloutir les lecteurs dans une impersonnalité généralisée qui engourdit l'intelligence.
Le développement personnel est finalement et paradoxalement une affairegrand mépris pour la personnele caractère unique de chaque personne.