Ces dernières années, le marché du coaching « bien-être » connaît un essor important sur les réseaux sociaux. De plus en plus de « marchands de bonheur » proposent leurs services avec la promesse de résultats rapides appuyés par des témoignages. Mais ces pratiques sont-elles vraiment sans risque ? Et que disent-ils de notre société ? Décryptage.
« Il est temps de devenir acteur de votre vie », « Je vous aide à avoir une vie sereine et à oser vous réaliser » : voici quelques exemples des nombreux slogans que l'on peut lire dans les récits de coachs « bien-être ». » qui envahissent les réseaux sociaux, notamment Instagram et Tiktok.
Ces coachs en développement personnel respectent souvent les mêmes règles. Ceux qui jouissent déjà d’une certaine notoriété écrivent souvent eux-mêmes leurs livres pour asseoir leur légitimité. Ils utilisent tous une familiarité et un vocabulaire qui symbolisent la prise de responsabilité de leur propre existence avec des expressions comme « tout est une question de volonté » ou « vous participez à votre propre bonheur ».
Par ailleurs, de plus en plus de coachs proposent désormais un accompagnement exclusivement féminin, avec la promesse qu'elles se sentiront « pleinement actives dans leur vie » à la fin du coaching et qu'elles pourront ainsi « trouver leur place » au sein de la société. . Des anglicismes tels que « changer de façon de penser » (ndlr : état d'esprit) ou « self-empowerment » (ndlr : auto-responsabilité) sont également souvent utilisés.
Profession non réglementée en Suisse
En Suisse, le métier de « coach » ne fait pas partie des professions dites « réglementées ». Par conséquent, n’importe qui peut faire de la publicité en tant que coach et proposer ses services moyennant un prix. À propos d'Anne Fankhauser, formatrice professionnelle certifiée chez Openways.chle fait que ce terme ne soit pas protégé est très préjudiciable à la profession.
Le coach accompagne son client pour atteindre son objectif. Cela lui permet d'identifier ses valeurs, de découvrir les ressources qu'il a en lui et de surmonter ses obstacles.
Il existe cependant en Suisse des formations qui permettent d'être certifié et reconnu comme « formateur professionnel ». Deux associations internationales travaillent depuis de nombreuses années à professionnaliser cette profession, à savoir l'International Coaching Federation (ICF) et l'European Mentor Coaching Council (EMCC), qui ont toutes deux des succursales en Suisse. Le métier de coach professionnel est désormais également reconnu par un diplôme fédéral de coach-encadrant.
Mais en quoi consiste réellement ce métier ? « Le coach accompagne son client pour atteindre son objectif. Cela lui permet d'identifier ses valeurs, de découvrir les ressources qu'il a en lui et de surmonter ses obstacles. C'est un processus de transformation personnelle, dans le respect de la personnalité du coaché », explique Ann Fankhauser. Et d'ajouter : « L'idée est de maximiser le potentiel de la personne formée. Nous supposons qu'il dispose de toutes les ressources en lui pour trouver une solution adaptée à ses besoins. »
Quand l’aide sociale fait mal
Entre 2021 et 2022, la répression de la fraude en France mène une enquête sur les pratiques commerciales dans le secteur du « Wellbeing Coaching » pour protéger les consommateurs. Sur les 165 professionnels et établissements d'enseignement inspectés, près de 80 % ont présenté au moins une anomalie dans l'information fournie aux utilisateurs concernant les compétences et les qualifications professionnelles, selon le rapport publié en mars dernier.
Mais qu’en est-il de la Suisse ? Pour Anne Fankhauser, les abus existent dans tous les métiers de support, que ce soit dans le milieu du coaching ou ailleurs. En théorie, l’entraîneur doit être neutre et sans jugement. « L'un des abus auxquels nous pouvons être confrontés lorsqu'il s'agit de coachs non professionnels est la prise de pouvoir sur le coaché : le coach ne doit pas avoir de projet sur l'individu, il doit rester un 'support' », explique-t-elle.
Pour éviter ce type d'abus, le professionnel recommande à toute personne souhaitant se former de prêter attention à la formation reconnue de coach, à son expérience professionnelle, à son éthique et à sa certification, qui nécessitent une formation continue.
Le culte du bonheur au travail
Depuis plusieurs années, la question du bien-être se pose également dans le monde professionnel. Ainsi, certaines entreprises proposent désormais des cours de yoga en cabinet, des séances de sophrologie, ou encore des « ateliers bien-être ».
En France, l'entrepreneuse Sophie Tremme, connue sur Instagram avec ses quelque 66 000 abonnés, organise depuis 2017 des « classes de bien-être » en entreprise. Le concept? Stimulez et dynamisez les employés grâce à des exercices de respiration, de posture et de pensée positive. L'une des promesses de cet atelier est d'optimiser le bien-être des équipes et donc leur productivité.
Plus les collaborateurs d’une entreprise sont invités à participer à des pratiques de bien-être, plus ils sont responsables de leur santé mentale.
Si ces pratiques ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, elles soulèvent des questions, estime Camille Teste, auteur de La politisation du bien-être. « Plus nous demandons aux gens de l’entreprise de s’engager dans ce genre de pratiques, plus nous les rendons responsables de leur santé mentale et de leur bien-être. C'est très pervers car si on continue à être malheureux au travail, ce sera de notre faute », note-t-elle. en entrevue avec Le Média.
Jusqu'à 5'000 francs par atelier
Les tarifs de ces séances de coaching varient d'une personne à l'autre. Aussi, tous les professionnels ne communiquent pas ouvertement sur leurs tarifs. Certains proposent des séances en présentiel, d’autres proposent uniquement leurs services en ligne.
En France, il faut compter entre 500 et 700 € pour six séances de coaching privé via Zoom. En Suisse, un coaching en ligne d'une heure peut coûter jusqu'à 200 francs.
L'atelier bien-être évoqué plus haut, composé de six intervenants, coûte pas moins de 5 000 euros, hors taxes et hors frais de déplacement. Elle dure en moyenne 90 minutes et peut également se faire par vidéoconférence.
Le bonheur, une simple question de volonté ?
Pour Gaël Brulé, sociologue du bonheur et professeur associé à la HES de Genève, cette multiplication des « coachs bien-être » illustre l'importance que nous accordons au bonheur dans notre société. Et combien ce concept est valorisé aujourd’hui, notamment à travers les réseaux sociaux. A l’inverse, être malheureux est presque devenu un sentiment de honte.
« Mais cela n'a pas toujours été comme ça », note l'auteur de « Le bonheur n'est pas là où vous pensez ». Jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989, deux visions du bonheur s’affrontaient : la vision collective de l’Est et la vision individuelle de l’Ouest. « Cette dernière a finalement pris le dessus et pendant trois décennies le bonheur était considéré comme un bien-être individuel, et aujourd'hui c'est devenu un devoir de ne pas être heureux, c'est presque une exclusion sociale. »
D'opportunité, le bonheur est devenu presque une obligation
De plus, les réseaux sociaux ont fait l'effet d'une caisse de résonance et ont renforcé cette prescription sociale du bonheur, estime Gaël Brûlé.
Le bonheur se résume désormais à la responsabilité personnelle, être heureux dépend de nous. Un discours qui ne fait pas forcément du bien à celui qui le reçoit. « Il s'agit en grande partie d'une aide culpabilisante », souligne le sociologue. « Il y a cette idée selon laquelle nous avons tous les outils pour être heureux. Si nous ne parvenons pas à être heureux, c’est nécessairement notre faute. L’idée de fatalité qui aurait pu tempérer ce sentiment n’existe plus dans une société où l’individu est tout-puissant.
Helen Krechenbuhl