Quelles seront les grandes tendances du recrutement en 2023 ?
Isabelle Rouen : L'étude BMO de Pôle emploi souligne que 58% des recrutements en 2022 sont considérés comme difficiles par les entreprises, soit une augmentation de 13% par rapport à 2021. Et ces difficultés sont grandes, quelle que soit la taille de l'entreprise qui recrute. En 2023, nous sommes toujours dans un marché en manque de talents et cette tendance va se poursuivre avec un marché axé sur les candidats. 4,5 millions de recrutements sont prévus pour 2023 selon l'Observatoire Adecco Analytics. Pour y faire face, les entreprises ont rationalisé, raccourci et accéléré leurs processus de recrutement. En effet, plus le processus de recrutement est long, plus le risque que l’employeur perde son candidat est grand.
Quels secteurs et métiers sont sous pression ?
IR : La santé, la mobilité bas carbone, la rénovation des bâtiments, la logistique et la technologie sont les secteurs les plus sollicités. Dans le domaine de la santé, d’ici 2024, il manquera 240 000 personnes pour soigner les personnes âgées à domicile ou dans des maisons de retraite. De nombreux professionnels de santé quittent le secteur hospitalier pour travailler hors de l’hôpital où les conditions de travail sont meilleures. De nouveaux besoins vont également émerger dans l’industrie pharmaceutique avec la délocalisation de la production de molécules comme le paracétamol.
Il y a une pénurie de chauffeurs de bus, de camions et de trains dans les secteurs du transport et de la logistique. Dans le secteur du bâtiment, on manque de profils qualifiés pour la rénovation énergétique, comme l'installation de pompes à chaleur ou l'isolation intérieure. Enfin, la digitalisation a créé de nouveaux besoins dans le domaine de la cybersécurité notamment, dont les métiers sont extrêmement stressants.
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Le télétravail a-t-il eu un impact sur le marché du travail ?
IR : Le télétravail devient une évidence pour le secteur tertiaire ou les métiers du télétravail, qui sont essentiellement des métiers de services. Le bureau devient ainsi un vecteur de liens sociaux pour co-créer et faire ensemble, en mode projet. Les salariés, comme l’entreprise, ont besoin de rituels pour se retrouver et partager l’esprit entrepreneurial.
Cette évolution majeure modifie les conditions de travail, les entreprises ayant besoin de moins d'espace de bureau et d'organisation de la semaine de travail, notamment en termes de coûts énergétiques. La question de l'efficacité énergétique peut être résolue notamment en ouvrant les bureaux moins de jours, en fermant le vendredi par exemple. Résultat : le nombre de sites tiers où les entreprises hébergent leurs salariés une partie de la semaine a augmenté de 33 % en un an. La France compte aujourd'hui 3500 tiers-lieux selon la carte France Tiers lieux.
Quelles sont les conséquences de cette explosion du télétravail ?
IR : Cela crée une société à deux vitesses, générant beaucoup de frustration pour ceux qui n’ont pas accès au travail à distance. Cette société à deux vitesses existe déjà entre les CDI et les personnes précaires qui occupent des emplois et dont le temps est optimisé par des plateformes (Deliveroo, Uber, Amazon) avec très peu de protection sociale (santé, retraite) et une forme de déshumanisation. Cela devrait nous faire réfléchir à l’évolution que nous souhaitons voir dans notre société.
Quelles sont les attentes des salariés en 2023 ?
IR : Ils sont toujours en quête de sens. Récemment Sondage Gallup montre que seuls 6% des salariés sont employés en France, l'un des 36 pays interrogés dans cette enquête. Cette déconnexion importante des salariés marque une véritable déconnexion pour la France. La réflexion sur les valeurs – engagée par de nombreuses entreprises depuis la loi Pacte de 2019 – dont certaines sont allées jusqu'à devenir des entreprises à mission, a permis de faire évoluer les choses dans le bon sens. Cette approche a un impact positif sur l’expérience candidat et l’expérience collaborateur.
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Comment les entreprises peuvent-elles mieux répondre aux aspirations des candidats ?
IR : Ils peuvent le faire notamment en prenant en compte les besoins des salariés en matière de santé et de sécurité au travail, mais aussi de diversité et d’inclusion. L'État vient d'annoncer le lancement d'un indice d'emploi des personnes âgées qui sera obligatoire dans les entreprises de plus de 1 000 salariés, au même titre que l'index égalité femmes-hommes. Je constate une évolution de la sensibilité sur ces sujets stratégiques en période de difficulté de recrutement, au sein des entreprises, chez les recruteurs et chez les candidats.
Un autre développement émergent est la mobilité. Les employés qui étaient prêts à parcourir de longues distances pour se rendre au travail ne sont plus disposés à le faire. Les entreprises trop éloignées ne peuvent plus recruter, et plus les métiers sont en tension, plus c'est difficile. L'entreprise Dentsu a par exemple choisi de déménager de Courbevoie, en banlieue parisienne, vers des bureaux de coworking en région parisienne. centre de Paris.
Quels changements faut-il opérer pour répondre aux besoins des métiers de demain ?
IR : Nous devons orienter les jeunes et ceux en reconversion vers des carrières numériques. Il manque 900 000 codeurs en Europe et 80 000 postes numériques sont vacants en France. Il existe de nombreux systèmes, notamment de reconversion, comme La capsule Bootcamp ou Simplon, pour former des data analysts, des data scientists qui travailleront dans les technologies vertes, le cloud vert et la cybersécurité.
Pour combler d'autres métiers manquants, il faut déplacer les personnes qui travaillent aujourd'hui dans la construction vers le renouvellement énergétique, et les ouvriers et techniciens de la mobilité carbone (aéronautique, automobile) vers la mobilité écologique (ferroviaire, vélo…).